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Elle a rédigé un guide professionnel du bégaiement, destiné à la fois aux bègues mais aussi aux employeurs, participé à des conférences en France et en Europe et préside la SASU Fluence Formation.

Elle a dirigé le DU «bégaiement et troubles de la fluence» pendant 6 ans à Paris 6 et a été chargé d’enseignement pendant 12 ans.

Elle est membre du consortium Lidcombe et Camperdown et représentante pour la France à l’ICA (International Cluttering Association) et à l’IALP (International Association of Logopedists and Phoniatrics).

Elle est aussi vice-présidente de l’Association Parole Bégaiement et membre de l’UNADREO (Union Nationale pour le Dèveloppement de la Recherche et de l'Évaluation en Orthophonie)

 

À travers cet entretien, Véronique, avec toute son expertise et les différentes études menées au cours des quinze années nous a aidé à comprendre ce qu'était le bégaiement, comment il se matérialise, pourquoi c'est long et difficile d'en sortir et quelles méthodes existantes sont utiliséés par les orthophonistes pour traiter efficacement leurs patients. 

Le bégaiement est méconnu, certains pensent que c’est un handicap, d’autres un trouble de la parole d’origine génétique et héréditaire. Véronique Aumont nous donne une définition précise et détaillé du bégaiement et de son origine: ‘’le bégaiement c’est un trouble de l’écoulement de la parole, un trouble moteur au niveau musculaire et de la coordination motrice. Depuis 2012, les recherches sur le bégaiement ont bien progressé. Il y’a un professeur qui s’appelle Drayna qui a trouvé pour la première fois des mutations génétiques sur un chromosome qui s’appelle le chromosome 12. 

Il n’y a pas une sorte de bégaiement mais plusieurs sortes de bégaiement. Cela serait lié à l’existence de différentes mutations, même si on a pas encore analysé tous les cas de bégaiement. Il y’a aussi des différences au niveau neurologique et au niveau structurel. Pendant longtemps les études ne concernaient que les adultes, mais récemment, il y’a eu une grande étude menée sur les enfants. On a donc découvert que sur 5 enfants qui bégaient, 4 vont récupérer tout seul, c’est-à-dire que le bégaiement va s’arrêter et un enfant pour qui il ne va pas s’arrêter. Cela s’explique par des différences neurologiques au niveau de la matière blanche et de la matière grise. Après il peut y avoir des évènements psychologiques qui peuvent aggraver ou déclencher ce trouble (facteurs existants). Mais si de base, on a un cerveau qui n’est pas capable de bégayer, on peut être traumatisé, on ne bégaiera jamais’’. 

C’est un trouble qui de matérialise de différentes façons: ’’le bégaiement peut se matérialiser de plusieurs façons: soit par des accidents de paroles, soit une interruption du flux de l’écoulement de la parole, soit des blocages au niveau des cordes vocales ou encore une forme de tension dans la parole (prolongations tendues), ou des répétitions (phonèmes, lettres, mots, syllabes ou segments de phrase). Chez les bègues elles sont nombreuses et s’entendent à l’oreille comme quelque chose de pathologique. Chez les non-bègues on appelle ça des dissuances normales (hésitations, bafouilles…)’’.

Concernant l’âge d’apparition du bégaiement: ‘’le bégaiement apparaît généralement entre 3 et 5 ans, rarement après. Quand ça arrive après c’est parce que les personnes parlaient déjà trop vite et après la puberté, ils vont se mettre à bégayer’’.

On a observé que les garçons sont plus touchés que les filles. Un phénomène souvent sans réponses auquel Véronique apporte les explications: ‘’Oui il y’a 3 garçons pour 1 fille qui bégaient. Il n’y a pas une mais plusieurs explications à cela. Déjà au niveau physiologique, les garçons ne sont pas fait comme les filles, le cerveau est un peu différent. Ensuite au niveau socio-psychologique, génétique et neurologique c’est pas la même chose’’.

 

Au niveau du traitement du bégaiement, plusieurs programmes ont fait leur preuve et ils sont appliqués en fonction de l’âge des patients traités: ‘’on sait que le cerveau est très plastique au niveau de la parole et du langage, ça veut dire qu’il peut se modifier complètement ou se réparer tout seul avant 6 ans. Si on intervient avant 6 ans, le cerveau va se restructurer, on peut même parler de guérison. Après 6 ans, c’est déjà plus compliqué, notamment à cause des risques de rechute. Le bégaiement commence à laisser plus de marques, cela demande donc plus d’entraînement et plus de techniques pour en sortir. Au niveau neurologique, on pense qu’il y’a des zones de compensation qui se produisent (avant et après la rééducation).

Pour mes patients, je vais privilégier les programmes dit: Efficience Pace Making, c’est à dire ceux qui scientifiquement ont eu le plus de preuves d’efficacité. 

Pour les tous petits, le programme qui a le plus d’efficacité, c’est le programme Lidcombe: c’est un programme de type comportemental où on va féliciter les enfants en âge pré-scolaire chaque fois qu’ils sont fluents. L’idée c’est que l’enfant n’a pas besoin de beaucoup de techniques pour sortir du bégaiement. Le but est que l’enfant se rende compte quand il est fluent afin qu’il le soit de plus en plus.

Quand l’enfant est plus grand il a besoin de plus de techniques. On va donc utiliser des techniques qui sont connues depuis longtemps comme la parole prolongée, la syllabation. Cela permet de savoir s’arrêter quand on bégaie car cela ne sert à rien de pousser ou de forcer pour que le son sorte. 

Chez les adultes, le programme le plus efficace est le programme Camperdown: c’est celui qui permet en se basant sur les entraînements de devenir de plus en plus fluent. On peut aussi utiliser des techniques de désensibilisation, c’est à dire de réduction d’évitements de situation (utile notamment pour les gens qui n’osent pas parler du bégaiement). Ces techniques vont aider à diminuer la sévérité du bégaiement.’’

Son idée de créer un concours d’éloquence du bégaiement est novatrice puisque c’est une première mondiale.

Il explique d’où lui lui est venu l’idée et quel est l'objectif de ce concours : ‘’cela vient de mon vécu. Pour me dépasser, j'ai participé à un concours d'éloquence dans mon école de commerce. Ce concours m’a vraiment apporté de la confiance et de la sérénité. J’ai donc pensé à en créer un réservé uniquement pour les bègues, et j’étais étonné que l’idée n’avait pas déjà vu le jour. Le but premier est de montrer que si on veut, nous pouvons faire n'importe quoi, même lorsqu'on bégaie. Ce n’est pas un concours comme les autres, dans le sens où il n’y a pas vraiment de récompense pour le vainqueur. Le but est de se dépasser, c’est un challenge à relever et le plus important est d’aller au bout de l’expérience et se sentir fier’’

Parmi les bègues que vous côtoyez via l’association combien ont déjà souffert de discrimination à l’embauche ? ‘’Je ne sais pas. Mais nous sommes nombreux à avoir rencontré des défis dans le monde du travail car nous bégayons. J’ai moi-même été victime de discrimination. Ce qui m'a poussé à agir’’.

Comment les aidez-vous ? ‘’J’ai co-crée handicapossible.com, un site d'information permettant de savoir ce que le bégaiement implique sur le marché du travail et quelles sont les compétences que le bégaiement développe’’.

Pour vous, est-ce clair que le bégaiement est un frein sur le marché du travail ? ‘’Au premier abord, oui. Car le recruteur a des préjugés sur le bégaiement. Néanmoins, je pense que ça peut également être une force’’.

Sur ses travaux avec Véronique Aumont Boucand: ‘’on travaille sur plusieurs choses: sur l’outil professionnel, on a rédigé un guide sur le réseau professionnel! On essaie aussi d’agir au Liban autour du bégaiement (peu développé). Nous essayons aussi de faire savoir ce qu’est vraiment le bégaiement car beaucoup de gens encore ne savent pas précisément ce que c’est et ses effets au quotidien’’.

Concernant ses projets futurs, il souhaite: ‘’développer ce qu’on a déjà crée (notamment dans les régions), pouvoir diffuser autant qu’on peut le guide sur les réseaux professionnels (sites) => à destination des employeurs, orthophonistes et bègues (crée une communauté pour échanger)’’.

À propos des cas de discrimnation à l’embauche: ‘’un cas a fait le buzz l’année dernière (Papa Sarr), les recruteurs se sont foutus de sa gueule, mais il y’a eu une prise de conscience collective. Il faut savoir que plus de 70% des bègues ont déjà été confronté à un cas de discrimination à l’embauche’’

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Entretien avec Véronique Aumont Boucand, orthophoniste depuis 30 ans, spécialiste du bégaiement. 

 

 

Mounah Bizri est un entrepreneur âgé de 27 ans. D’origine libanaise, il est membre de l’association Paroles Bégaiement et créateur du concours d’éloquence du bégaiement.

 

Comme beaucoup de bègues, il ne connaît pas la raison exacte de son bégaiement : ‘’je bégaie depuis que je suis né. Je ne sais pas pourquoi ou comment c’est arrivé, faudrait peut-être que je demande un jour’’ (rires).

Il fait partie de l’association Paroles Bégaiement et nous explique pourquoi il a souhaité la rejoindre : ‘’l’asso est composée de 800 membres dont une cinquantaine de bénéloves. c’est ma propre expérience qui m’a motivé. Je veux qu'on puisse vivre la vie qu'on désire lorsqu'on bégaie, sans souffrir autant que j'ai souffert.

Nous montons des projets pour les bègues pour leur permettre de vivre sans être contraint par leur bégaiement. 3 actions: éloquence du bégaiement, une trentaine de personne chaque année travail sur l’expression (parler de soi, regard etc…). On est en train de monter une cellule sur le bégaement et le monde pro. Le but est de permettre aux bègues d’avoir des conseils pour choisir leur métier ou réussir dans le milieu du travail, mais aussi informé l’employeur de ce qu’est le bégaiement dans le quotidien. On est aussi en contact avec des bègues dans toutes les communes et ont essaient de mettre en place des actions avec eux’’.

Cependant, Nicolas avait toujours un manque d'aisance et de confiance en lui. Pour y remédier, il se lance en 2019 un défi, participer au 1er concours d'éloquence du bégaiement.   Il  arrivera en finale. Puis dans la foulée, il participe au Grand Oral.

 "Au départ je parlais peu. C’est le théâtre qui m’a rendu plus bavard. J’ai pris confiance en moi. Sur scène je me sentais à l’aise je bégayais moins. J’ai participé au tout premier   concours d’éloquence du bégaiement. C’est mon orthophoniste qui m’a soumis l’idée. Je n’étais pas chaud car je n’avais pas confiance en moi, mais elle a réussi à me convaincre de le faire.

 Je me suis hissé jusqu’en finale. 

 Suite à ça, j’ai envoyé un mail pour participer au Grand Oral. J’ai été sélectionné parmi 5000 candidats''.

 

  Mais que lui a donc apporté cette expérience: "j’ai compris que je pouvais intéresser les gens avec une histoire sincère. Tout en mettant une touche d’humour. J’ai senti que les   gens étaient vraiment sympas. Le fait de faire rire non pas à cause de mon bégaiement mais grâce à mes mots, j’ai pris beaucoup de plaisir. Je ne pensais pas avoir le courage de   faire tout ça. Mais je l’ai fait et j’en suis fier".

 

 Nicolas s'investit également au niveau associatif, il est en effet membre de l'association Paroles Bégaiement depuis avril 2019.

 "Pour moi ça signifie la reconnaissance du travail effectuer par les orthophonistes et les bègues. Faire un don c’est aussi un acte militant. J’espère avoir l’occasion de prendre la   parole lors du prochain colloque''.

 

 Pour finir, voici les conseils que Nicolas donne aux autres bègues: ''je conseille à tous les gens de sortir de leur zone de confort ; d’oser prendre la parole. Que ce soit en cours   ou dans n’importe quelle situation du quotidien. Je recommande aussi le théâtre ou le chant, car ce sont des activités qui peuvent permettre de vaincre certains blocages''.

Nicolas Garcia a 37 ans, il est bègue depuis plus de trente ans.

 

 

Je bégaie depuis que j’ai commencé à parler en fait, à l’âge de 3 ans et demi, après un retard de langage. 

Mon grand-père a bégayé jusqu’à l’âge de 60 ans. Il a dû faire beaucoup d’exercices pour réussir à ne plus bégayer. Il y’a un gène du bégaiement, je pense que je l’avais dès ma naissance''.

 

Souhaitant être au contact des gens, son bégaiement ne lui a pas facilité la tâche.

''J’ai fait des études en assurance, ça me plaisait vraiment. Mais à cause du bégaiement on m’a dit que ce n’était pas trop possible. Excepté pour travailler dans les bureaux. Mais cela ne m’intéressait pas car je voulais vraiment être au contact des gens, échanger avec eux''.

 

 Quand on lui demande s'il se souvient d'une d'un moment particulier où il a réussi à gérer son bégaiement il répond:

''Oui cela m’est arrivé. Je me rappelle d’un directeur qui m’a mis au téléphone avec une cliente mécontente suite à un sinistre. C’était un véritable défi car le téléphone c’est vraiment difficile pour moi. Dés fois le bégaiement s’accentue.

Je me rappelle que ce jour-là, j’avais réussi à parler calmement du début à la fin et la fin, et j’ai réussi à gérer tout de A à Z. La cliente était satisfaite, mon directeur aussi. J’étais vraiment fier ce jour-là''.

 

 Nicolas est contrôleur des impôts, un métier qui ''nécessite évidemment d’échanger, même si je ne décroche jamais les appels téléphoniques.

Et cela quotidiennement. Je travaille du lundi au samedi. Et je m’occupe d’un quartier précis. Du coup j’ai affaire aux mêmes personnes, ce qui au fil du temps me facilite un peu la tâche''.

 

Des efforts et des résultats qui ne sont possibles que grâce à un travail au quotidien. ''Tous les matins, sous la douche, je m’exerce. J’essaie de répéter les exercices vus avec elles. Je trouve cela utile, le bonjour passe plus facilement''.

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Source: Facebook Véronique Aumont Boucand

Source: Facebook Mounah Bizri

Source: Facebook Nico Grand Oral

 Web-Documentaire

 

Le bégaiement est-il un frein sur le marché du travail ?

 

Le bégaiement est un problème très complexe, un trouble de la parole qui se manifeste le plus souvent à un âge où les habiletés cognitives, linguistiques et motrices de l'enfant sont encore en développement. Le bégaiement affecte environ 4% les enfants et 1% les adultes. Il touche environ 1 % de la population en France comme dans le monde. 10 % d'entre eux souffrent de bégaiement sévère. Dans 80 % des cas, il apparaît chez l'enfant qui commence à parler (entre 2 et 5 ans). En moyenne, il y a 4 à 5 garçons bègues pour une fille bègue.

 

Quand on bégaie, parler n’est pas toujours simple comme bonjour. Sentiment de honte, stress à l’idée d’être incompris...

Pour bon nombre de cas, il constitue un frein sur le marché du travail. Même si, depuis quelques années, il est reconnu comme handicap par les MDPH.

 

Il est déjà arrivé qu’un bègue subisse des attitudes déplacées de la part du recruteur même.

Nous allons prendre en exemple l’histoire de Papa Sarr :

Début août 2019, un étudiant bègue avait passé un entretien au cours duquel il subit une série d’humiliations. Ridiculisé pour son élocution par une des recruteuses, ce dernier l’a dénoncée sur Linkedln et a finalement trouvé un emploi.

Papa Sarr, étudiant en école de commerce de 24 ans, cherchait donc un emploi en alternance au début des vacances d’été. Convoqué pour un entretien, le jeune homme informe les deux recruteuses d’un bégaiement qu’il a depuis son enfance. Il assure avoir précisé que cela ne compromettait pas la qualité de son travail, n’ayant jamais considéré son élocution comme un handicap.

Papa Sarr s’est alors lancé dans sa présentation, en passant outre les blocages qu’il a eu avec certains mots. Ceci semble avoir beaucoup amusé l’assistante RH qui l’a interrompu au bout de quelques secondes avec des gloussements et des rires moqueurs. Toutefois, le jeune homme s’est efforcé de ne pas y prêter attention et a poursuivi son pitch. Les rires n’ont pourtant pas cessé et fait qu‘amplifier son bégaiement. Il affirmera au média Les Échos Start que ses efforts n’ont servi à rien. : ‘’Malheureusement, l’assistante RH n’a pas su contrôler son fou rire. Celui-ci a persisté durant tout le début de l’entretien à tel point que sa collègue a été obligée de lui faire un signe de la main pour qu’elle arrête. Je suis ressorti démoli de cet entretien’’

 

Il obtiendra finalement gain de cause. Le jeune homme a réussi à décrocher un emploi après avoir contacté une influenceuse sur les réseaux sociaux, qui a relayé l’histoire jusqu’à ce qu’un nouveau recruteur tombe dessus.

 

 

Qu'est-ce que le bégaiement? Et pourquoi les bègues sont souvent obligés de choisir un autre travail que celui qu'ils souhaitent réellement.